Joris Renaud est cofondateur d'Eduvoices. Nous l'avons rencontré pour qu'il nous parle de sa plateforme et de l'évolution du rôle des professeurs en France.
Pouvez-vous présenter Eduvoices et nous dire ce qui vous a amené à créer cette plateforme ?
Je suis cofondateur d’Eduvoices dont l’objectif est d’accompagner les professeurs souhaitant faire évoluer leurs pratiques pédagogiques. Nous sommes partis d’un constat qui est le manque d’outils à disposition des professeurs pour analyser l’existant. Mais notre originalité réside aussi dans le fait qu’on leur offre la possibilité d’intégrer une communauté d’enseignants qui partagent leurs pratiques pédagogiques de manière transdisciplinaire. Nous sommes convaincus que l’éducation doit changer. L’objectif de l’éducation demeure l’émancipation au sein de la société. Or si la société évolue, l’éducation doit par conséquent aussi évoluer. On a donc mis en place un programme qui fait le tour des problématiques que doivent résoudre les professeurs aujourd’hui. Ainsi, on répond à des questions telles que : Comment collaborer entre professeurs ? Quels sont les apports du numérique ? Comment les utiliser ? Comment développer la créativité dans sa pratique pédagogique, etc.
Le métier de professeur est par ailleurs solitaire avec de moins en moins de reconnaissance. Le système est fait de telle façon que le professeur se retrouve seul avec les élèves entre quatre murs. Aujourd’hui, on rassemble plus de 1000 enseignants dans notre communauté et on se rend compte qu’il y a une énergie et une volonté de transformer les choses qu’on ne soupçonne pas. Je suis convaincu que si l’on veut transformer l’éducation en France, cela passera d’abord par les professeurs.
Trouvez-vous que les professeurs sont conscients des changements qu'entraîne le numérique, ou sont-ils encore dans le flou ?
La majorité des enseignants a conscience de l’importance du numérique. Ils savent qu’ils ne peuvent pas passer à côté. Mais les changements entraînés par le numérique viennent cristalliser une tendance de fond qui est un changement de posture. Aujourd’hui, on reproduit encore le modèle de l’éducation hérité de la révolution industrielle alors qu’on a besoin d’un changement de posture de l’enseignant, qui, comme le dit d’ailleurs François-Xavier dans son livre, doit devenir un accompagnateur des savoirs. Les professeurs voient donc le numérique comme un outil. Et ils ne voient pas l’outil tel qu’il est mais plutôt les usages qui peuvent en découler : va-t-il me permettre d’utiliser de nouveaux formats ? Est-ce que je peux proposer de nouvelles activités ?, etc.
Remarquez-vous une différence notable entre les nouvelles et anciennes générations de professeurs ?
Il y a moins une différence de génération qu’une différence de posture. Nous avons dans la communauté des enseignants de plus de 50 ans qui utilisent le numérique depuis plus de 10 ans. Et, paradoxalement, nous avons de jeunes enseignants qui préfèrent regarder de loin le développement de ces usages pour se concentrer sur d’autres points de leurs séquences. Il n’y a donc pas vraiment de conflits de générations, mais forcément les jeunes enseignants seront plus enclins à utiliser le numérique car ils ont baigné dedans. Il sera d’ailleurs intéressant d’observer le comportement des enseignants qui ont utilisé très tôt et grandi avec des smartphones. Aujourd’hui certaines pratiques collaboratives via smartphone sont déjà en place, et les retours qu’on a sont très positifs. Les professeurs nous disent que ça crée un climat de confiance fructueux qui permet aussi la personnalisation de l’enseignement.
Quels sont les retours que vous avez après qu'ils sont rentrés dans la communauté ?
Quand un enseignant rejoint la communauté, il arrive dans un environnement bienveillant. Il interagit avec des collègues qui ont la même passion et la même énergie. Il y a beaucoup d’échanges sur les bonnes pratiques. Ce temps de réflexion est précieux pour faire évoluer sa pratique pédagogique. Nous avons compilé les retours des professeurs à la suite de notre échange en ligne avec une cinquantaine de membres le retour qu’on a sur la question spécifique du numérique est qu’il permet d’expérimenter des dispositifs qui seraient impossible à mettre en place autrement. Ainsi à la question « racontez-vous une expérience WAHOU rendue possible avec le numérique », on reçoit des retours comme ceux-ci : “Quand un élève trouve seul la formule pour calculer l’angle interne d’un polygone en fonction du nombre de côtés et vérifie avec un drone”.[1]
Quels sont les changements les plus urgents qu'ils aimeraient voir dans les institutions ?
La majorité des professeurs expriment le désir d’un développement accru de la formation continue. La formation continue aujourd’hui consiste en une mise à jour des connaissances liées aux programmes. Il faut que cela change, par la mise en place de plus de réseaux qui mettent en lien les professeurs sur des temps dédiés à l’apprentissage par les pairs. Cela peut se mettre facilement en place et de multiples manières.
Quant à la question spécifique du numérique, il y a évidemment et avant tout une demande de changement des infrastructures des établissements, qui ne sont à l’heure actuelle pas du tout adaptées. Et ce changement implique aussi forcément un accompagnement sur les usages en classes qui ne demandent pas la même approche en fonction des niveaux et des disciplines. Tout cela nécessite de l’investissement et une vision mature sur le sujet.
Enfin, ils demandent un changement dans la culture pédagogique. Nous avons beaucoup d’enseignants qui sont très novateurs et qui se sentent bridés par les institutions. Il faut leur permettre d’essayer et autoriser le fait de commettre potentiellement quelques erreurs. Cela fait aussi partie du processus d’apprentissage qu’ils font avec leurs élèves !
[1] Pour l’ensemble des verbatim, voir le lien suivant : https://medium.com/eduvoices/le-num%C3%A9rique-en-classe-eduvoiceschat-n-5-4ee98bd751ca#.3ffy7szfk
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